Ehontément
Il a fallu… Il a fallu.
Il a fallu tout déconstruire, de l’implantation des sourcils au-dessus du nez (nouveau décalage, vers l’extérieur), jusqu’à la façon dont je disposais l’intérieur de mes jambes et de mes pieds au sol, plus vers l’intérieur, en ogive.
Je me levais plus tôt aussi, presque aux aurores. Pourtant j’avais sommeil, impérieusement. Mais je me levais mieux, avec une aiguille dans chaque œil et une langue plus acérée, qui claquait régulièrement contre mes dents. Je grinçais des mâchoires aussi, il faut que je me l’avoue. Tout n‘allait pas si bien. Rien du tout. J'étais cacochyme, livide, défigurée.
Je ne pensais plus qu’en anglais ; il y avait un acouphène d’expressions américaines, un chapelet d’idiomatismes qui martelaient mes tympans, le cerveau juste sous mon front, en deça de ma rétine, les ailes de mon nez, les replis frémissants de mes lèvres.
Ce jour-là je n’ai pas mis de sous-vêtement, je livrais cela à ma folie. Je n’y cèderais pas, mais je me suis dit voilà bien une révolte, voilà un majeur levé dans le métro, tenant la poignée lorsque la rame freine, dans la rue sous le regard maussade des passants, que je darde. Oui : que je darde.
Et je ne suis pas allée travailler.
Je me suis laissée portée jusqu’au terminus de la ligne de bus, et je l'ai repris en sens inverse. Je me suis arrêté en plein centre-ville.
En plein milieu de matinée, la chaleur glacée du mois de mars s’est déployée. Et les ombres froides de la nuit, pourtant tenaces, se sont définitivement résorbées.
J’ai croisé puis décroisé les jambes à la terrasse du café.
Je me suis mise à parler seule. J’ai gueulé : « eh alors, hein. Eh alors, quoi ? ».
Puis j'ai tiré sur ma cigarette et je n'ai pas pronconcé un seul mot de la journée. J'avais les yeux tellement humides. Comme si on me fouettait le visage.